Daniel Ducrocq

Norvège: un NON réfléchi

(deuxième partie)

11.02.2005

Textes en français ||| Domaine d'AKP


A l’automne 1994 ont été organisés trois réferendum sur l'adhésion à l'Union Européenne: en Finlande, en Suède et en Norvège. On a fait d’abord voter les finlandais où la majorité était clairement pour le oui, puis ensuite les suédois où le oui et le non étaient à égalité et enfin la Norvège où le non était en majorité. Le pouvoir espérait ainsi un "effet domino" qui assurerait la victoire du oui dans les trois pays. Le oui suédois deux semaines avant le referendum en Norvège provoqua un effet psycholigique énorme sur l'électorat norvégien. Mais pas assez important pour renverser l'opinion: le 28 novembre 1994, c'est bien le non qui l'emporta. "L'effet domino" tant escompté n'a pas marché.

Le "risque" d'un non en Norvège était depuis longtemps trés fort. C'est pourquoi le pouvoir s'assura de lier le pays à l'Union Européenne (UE) par un accord faisant entrer le pays "par la petite porte". Les pays de l'EFTA (pays liés par un accord commercial: Islande, Norvège, Suède, Autriche, Lichtenstein) ont signé un accord avec UE le 01.01.92 qui est entré en vigueur le 01.01.94. Un sondage d'opinion réalisé en 1992 montre que la population était contre cet accord mais celui-ci obtint la majorité au Parlement grâce aux voix du Parti Chrétien Populaire qui a obtenu des garanties pour conserver le monopole étatique de la distribution d'alcool (ceci étant trés important pour eux). Mais l'architecte majeur de cet accord c'est le parti travailliste sous la direction de Gro Harlem Brundtland (devenue plus tard directrice de l'OMS).

Cet accord commercial s'est vite révélé être dynamique, c'est à dire qu'il évolue avec le temps et concerne de plus en plus de domaines qu'il soient politiques, économiques ou commerciaux. En réalité la Norvège par cet accord a accepté les quatre libertés de l'UE et doit accepter un nombre de plus en plus important de directives. Une directive de Bruxelles sur six fait office de loi en Norvège.

On parle ici de "fax-démocracie". Quelques exemples:

* Le secteur publique doit faire une appel d'offre dans toute l'UE pour les les achats supérieurs à 1,6 millions de couronnes (8 couronnes = environ 1 euro) et pour les travaux de plus de 40 millions de couronnes. En 1993, 67 % des municipalités donnaient la préférence aux entreprises locales.

* Une municipalité donnait la préférence aux entreprises embauchant des jeunes apprentis en cours de formation. ESA (*) a décidé que ceci n'est pas compatible avec la législation de l'UE. [(*) ESA est un groupe de juristes qui surveille si la Norvège respecte l'accord avec UE.]

* Pour stimuler l'établissement d'entreprises dans tout le pays, il y a en Norvège différentes zones d'imposition fiscale sur le travail. Les entreprises tout au Nord ne sont pas du tout imposées, plus on va vers le Sud plus les employeurs paient d'impôt sur la main d'oeuvre. Ce système a permis l'implantation d'entreprises dans toutes les régions du pays (les touristes sont surpris de voir qu'ici il y a des habitants partout!). ESA a décidé que ceci n'est pas compatible avec la législation de l'UE: la concurrence doit être libre et par conséquent tout le monde doit payer les mêmes taxes sur la main d'oeuvre.

* Les petits agriculteurs qui exploitent la fôret pouvaient se mettre d'accord sur le prix du m3 avec les papetteries locales. ESA a tranché: cette pratique est illégale, la libre concurrence ne doit pas être entavée au profit des petites entreprises locales.

* La distribution de l'alcool était un monopole d'Etat. Conserver ce monopole était une condition posée par le Parti Chrétien Populaire pour signer l'accord en 1992 (voir plus haut). Ici aussi c'est ESA qui a tranché: aujourd'hui l'Etat n'a plus que le monopole de la vente au détail, et ce monopole est bien menacé.

Le Parti Chrétien Populaire qui souhaitait interdire la vente de limonade alcoolisée dans les magasins (limonade produite pour les jeunes qui souhaitent apprendre à boire!) s'est vu imposer une nouvelle gifle par Bruxelles. Interdire la limonade alcoolisée c'est discriminer ce produit par rapport à la bière, une discrimination interdite par l'Union Européenne. Depuis, le taux d'alcoolisme a explosé chez les jeunes, surtout les trés jeunes.

* Les secteurs du pétrole et du gaz sont touchés par des directives de Bruxelles (juin 1995 pour le pétrole, décembre 1997 pour le gaz), directives ayant pour but une plus grande concurrence dans ces domaines. Ce sont des directives compliquées qui feraient l'objet d'au moins un article. Le fait est que la compagnie d'état Statoil ne peut plus aujourd'hui donner la préférence aux entreprises locales (voir la première partie).

* Depuis le 1 mai 2004, le marché du travail norvégien a dû s'ouvrir à toute l'UE. Depuis cette date on a vu de trés nombreux scandales comme ces ouvriers polonais embauchés à 25 couronnes de l'heure (contre la normale 130 couronnes de l'heure) six jours par semaine, dix heures par jour. Les entreprises de l'UE peuvent venir s'établir pour un moment en Norvège dans le secteur des services. Dans ce cas, les salaires et les conditions de travail sont celles du pays d'origine. Ainsi, par exemple, une entreprise lituanienne peut-elle s'établir un certain temps en Norvège avec un personnel soumis aux conditions sociales et salariales de Lituanie. Les entreprises norvégiennes doivent, pour survivre, réviser à la baisse les conditions sociales et salariales de leurs employés.

* Les pêcheries le longs de la côte sont en bois depuis des centaines d'années. Une directive de Bruxelles a décidé que le bois n'est pas hygiénique. Le remplacement par de l'aluminium ou du plastique a été exigé. 80 pêcheries ont fermé leurs portes ne pouvant s'offrir le luxe de changer le bois contre de l'aluminium ou du plastique.

Conclusion

L'accord de 1992 a donné force de loi aux directives de l'Union Européenne qui forment la société norvégienne au goût de Bruxelles, c'est à dire aux exigences du capital. Cet état de fait a des conséquences sur l'opinion. Les partisans du oui sont en majorité depuis 2002. Leur argument majeur est que la Norvège est plus ou moins membre de l'UE, et qu'il ne manque que le droit d'être à la table des décisions à Bruxelles. Il n'est pas facile pour les partisans du non d'argumenter contre la "fax-démocracie".

Mais le libéralisme de l'Union Européenne, qui s'impose comme une loi, a son prix. De plus en plus de concurrence brutale, de moins en moins de marge de manoeuvre aux élus, tant nationaux que locaux. De moins en moins de possibilité pour chacun de faire entendre sa voix avec le découragement électoral et l'apathie politique à la clé. C'est un prix qu'un nombre croissant d'hommes et de femmes vont refuser de payer. Aujourd'hui en Norvège, une marquante majorité des jeunes est opposée à l'Union Européenne.