Parti Communiste des Travailleurs (AKP), Norvège

Expérience de la lutte syndicale
au sein de certaines organisations
féminines regroupées

Avril 1998

En anglais En espagnol

Textes en français ||| Domaine d'AKP


1. Les bases théoriques sur lesquelles nous avons développé la lutte syndicale parmi les femmes et les syndicats à prédominance féminine

a) Les femmes de la classe ouvrière sont doublement opprimées, et comme travailleuses, et comme femmes.

b) Le système capitaliste a transmis l'oppression des femmes originaires de formes plus anciennes de sociétés oppressives, et il a développé cette oppression de manière telle que l'oppression des femmes est devenue partie intégrante et indissociable de la société capitaliste. C'est pourquoi la libération des femmes constitue une force révolutionnaire qui participera au renversement du système capitaliste.

c) Le capitalisme repose sur la structure familiale, laquelle présuppose que l'homme représente la principale source de revenus alors que la femme ne joue qu'un rôle secondaire. Si la femme travaille, son salaire est considéré comme un salaire d'appoint pour la famille.

d) Par ailleurs, l'accumulation du capital entraîne un besoin sans cesse croissant de travailleurs salariés à exploiter, ce qui dans le monde entier a conduit à une participation accrue de la main-d'oeuvre salariée féminine. Dans un même temps, les femmes détiennent toujours la principale responsabilité du travail de reproduction (?) dans les ménages. Aujourd'hui, en Norvège, l'ensemble de la main d’oeuvre est constitué pour moitié de femmes, dont une moitié sont employées à temps partiel. Ceci n’empêche pas que les femmes soient toujours considérées comme étant de moindre importance que les hommes, ceci se reflètant dans le fait qu'elles gagnent moins que leurs homologues masculins. Les secteurs professionnels où les femmes prédominent sont moins bien rémunérés que les secteurs équivalents à majorité masculine.

e) Cette double exploitation des femmes dans les lieux de travail et partout dans la société, constitue la base d'un mouvement qui souhaite combattre cette oppression.

f) Du fait que les femmes sont opprimées à la fois en tant que classe et en tant que femmes, il leur est nécessaire d’opter pour des formes organisationnelles de combat contre cette double oppression.

Il ne suffit pas qu'il y ait une organisation de classe dans les syndicats. Il faut également trouver des formes organisationnelles au sein desquelles les femmes puissent s'organiser au-delà des limites des structures syndicales, et il convient également d'organiser à tout prix les femmes qui ne sont pas organisées ainsi que celles qui ne font pas partie de la main-d'oeuvre salariée.

g) Il est d'une importance capitale que les femmes communistes puissent s'organiser au sein du Parti, qu'elles fassent partie d'un front extérieur au Parti et qu'elles s'appuient sur une base anticapitaliste. En Norvège, cette plate-forme est représentée par le Front des Femmes. Mais ce n'est pas un front de partis au sens général du terme. En travaillant au sein du Front des Femmes pour traiter les problèmes féminins en général, les communistes ont été à même de développer de nouvelles lignes politiques à la fois pour le Parti communiste et pour les syndicats.

2. Le contexte historique à partir duquel le mouvement s'est développé

Dès sa naissance au début des années 70, l'AKP a déjà participé activement à la lutte de libération des femmes et a contribué à la fondation du Front des Femmes. Il était primordial pour la poursuite du développement politique du Parti et du mouvement de masse que les femmes aient leur propre organisation. C'était également essentiel pour le développement de la théorie que les femmes aient leurs propres organes au sein du Parti. Au début des années 80, les statuts du Parti furent amendés de façon que toutes les instances dirigeantes du Parti puissent compter 50 % de femmes. Les membres du Parti participèrent activement aux luttes de masse des problèmes concernant les femmes (journée de six heures, non à la pornographie, gratuité des crèches et des jardins d'enfants, libre choix de l'avortement, "salaire minimal garanti", solidarité avec les femmes du tiers monde, etc.).

Dans un même temps, nous avons développé une nouvelle théorie basée sur ces luttes et sur l'étude des classiques marxistes (signalons en particulier des groupes de femmes du Parti qui ont étudié Le Capital) et des auteurs féministes. Pour cette raison, nous avons développé des lignes de conduite à la fois stratégiques et tactiques qui se sont avérées importantes pour le travail du Parti dans tous les domaines. Du fait que les femmes constituent la moitié de la population et plus de la moitié de la classe ouvrière, le fait de développer une théorie et une ligne politique correctes autour de ces problèmes exerce nécessairement un impact sur toutes les questions sociales. Au cours des années 80, le Parti a développé la théorie des deux forces principales de la classe ouvrière: le prolétariat industriel et les femmes au travail. L'essentiel de cette théorie dit que parallèlement à l'importance du prolétariat industriel, la présence des femmes au sein de la classe ouvrière est tout aussi importante. Aujourd'hui, les femmes travaillent comme salariées tout en assumant la responsabilité principale de la reproduction dans les ménages. Ceci accroît l'oppression dont elles sont l'objet et leur procure par la même occasion une raison supplémentaire de lutter. De plus, la possibilité d'organiser la lutte des travailleuses s'est modifiée du fait qu'elles sont désormais "socialisées" au sein des forces laborieuses. Cette théorie a contribué à poser la question de savoir comment développer la lutte des femmes au sein même de leurs lieux de travail.

3. Le lancement de Women Across (Femmes de tous bords ensemble)

Un certain samedi de mai 1982, le groupe du Front des Femmes qui traitait de la condition des femmes par rapport à l'emploi a rassemblé 10 à 15 femmes de professions différentes, tant des secteurs public que privé, parmi lesquelles quelques déléguées syndicales aussi bien que certaines femmes qui n'avaient aucune expérience syndicale. Le tour de table qui permit à chacune de parler de son salaire et de ses conditions de travail constitua l'élément le plus important de cette réunion et des suivantes. En réunissant des femmes provenant de milieux aussi différents et en ayant une meilleure compréhension de la réalité, nous avons pu surmonter les divisions. Nous utilisons une terminologie différente : salaire horaire, salaire hebdomadaire, salaire mensuel, barèmes salariaux, salaire fixe et salaire complémentaire, et les systèmes d'horaires sont différents eux aussi. Le vocabulaire même constitue une difficulté supplémentaire pour comprendre et comparer ce que les autres gagnent. Par le biais des discussions, nous sommes parvenues à déterminer concrètement tout ce que nous avions en commun.

Au cours de ces années, nombre de syndicats nationaux ont soutenu les renvendications en faveur de la journée de six heures, et lors des négociations salariales de 1986, la semaine du travail fut réglementée et ramenée à 37,5 heures.

En 1987, le Front des Femmes a lancé sa Campagne féminie de négociations salariales. Nous avons réuni des déléguées syndicales, des militantes des mouvements féministes de libération, de même que des femmes sans expérience syndicale ou féministe. Le but était de mettre en place une ligne politique salariale rassemblant une base à la fois syndicaliste et féministe, et également de défendre une ligne politique facilement compréhensible pour des gens qui ne sont pas familiarisés avec le jargon interne des discussions collectives.

La Campagne féminine de négociations salariales lança le terme Salaire féminin, et le mot d'ordre "Un salaire pour vivre. Nous voulons un salaire pour vivre et une journée de travail qui nous laisse le temps de vivre."

En outre, la plate-forme politique de la campagne prétendait que non seulement les femmes gagnaient moins, mais également qu'il y avait moins de différence salariale entre les femmes qu'entre les hommes. La modicité des salaires féminins est davantage une question de sexe qu'une question de formation ou de profession. Nous insistons aussi sur le fait que la raison pour laquelle les femmes obtiennent des salaires moins élevés n'est pas leur stupidité, ni le fait qu'elles ont choisi une mauvaise formation, une mauvaise profession ou qu'elles sont organisées dans des syndicats plus faibles. Nous sommes moins bien payées que les hommes tout simplement parce que nous sommes des femmes.

Nous oeuvrons pu nous rendre compte que l'expression Salaire féminin est importante parce que ces termes définissent clairement qu'il s'agit d'un problème général dans notre société, et non de différences de chances entre des individus. Les intérêts généraux pour l'ensemble des femmes ne sont ni biologiques ni mythologiques, ils reposent au contraire sur la réalité de la situation des femmes au sein de la société. Dans cette perspective, nous considérons que la lutte en faveur de la légalisation de l'avortement, la lutte contre la pornographie et le harcèlement sexuel ont leur importance dans la lutte pour de meilleurs salaires et pour la journée de travail de six heures. Ainsi, le combat contre l'oppression des femmes présente de multiples facettes.

Les débats autour des termes Salaire féminin ont provoqué une compréhension mutuelle et une unité parmi des femmes à salaires différents et en provenance de classes différentes, tant dans le secteur privé que dans le secteur public.

En 1993, le Front des Femmes, en compagnie de sept syndicats différents des secteurs tant public que privé, a lancé une conférence féministe et syndicale à Oslo. La campagne pour le salaire féminin et pour la journée de six heures constitua la toile de fond commune à toute l'initiative. Depuis lors, d'autres conférences ont eu lieu à Oslo et dans d'autres villes partout dans le pays. Les réunions les plus importantes ont rassemblé quelque deux cents participantes. La conférence d'Oslo de 1997 a été lancée par une vingtaine d'organisations différentes, regroupant à la fois des syndicats régionaux et des organisations féministes. En Norvège, il existe quatre confédérations syndicales nationales et plusieurs syndicats indépendants. Women Across fait un travail organisationnel qui dépassé les limites et les cloisonnement et, comme nous l'avons signalé plus haut, le mouvement organise ensemble les syndicats et les mouvements féministes de libération.

L'oppression des femmes et une conscience commune de ce phénomène resserrent l'unité. Nos méthodes d'organisation et de travail ne laissent aucune place aux jeux de pouvoir et de hiérarchie traditionnellement en vigueur chez les hommes.

Nous úuvrons sans cesse à étendre la participation à ces conférences. Une politique et une prise de conscience féministes nous procurent des possibilités d'accords allant au-delà des controverses entre syndicats. Nous voulons que Women Across se traduise par une coopération entre les femmes occupant des postes importants dans les syndicats et les femmes de la base des mêmes syndicats. Les femmes n'appartenant à aucune organisation sont également les bienvenues. De même que les femmes qui ne sont pas des travailleuses salariées. Nous pouvons d'ailleurs signaler qu'un groupe militant de mères célibataires a participé aux conférences de Women Across. Au cours des travaux préliminaires, nous prévoyons des espaces pour des débats contradictoires, même les plus serrés. Dans un même temps, nous nous en tenons à la plate-forme politique de la coopération et nous la développons. Le Front des Femmes joue un rôle essentiel, au sein de Women Across. Nous faisons de la propagande en faveur des événements et discussions féministes, et empêchons de la sorte qu'on se limite au mode de pensée et d'organisation propre au syndicalisme. Outre le débat sur les salaires, la journée de six heures et les stratégies à suivre lors des prochaines négociations salariales, les conférences ont également discuté du harcèlement sexuel, de l'entrée dans l'Union européenne, du rapport de la Conférence des Femmes à Pékin, de la destruction de l'Etat-providence et des nouvelles attaques dont les femmes sont l'objet via l'idéologie de la socio-biologie. Entre autres choses, la conférence de l'automne 1997 a discuté du racisme. Elle était préparée par des femmes du Front des Femmes, originaires des pays du tiers monde et par la section locale du Syndicat des Travailleurs Hôteliers. La principale caractéristique apportée à cette tâche par les déléguées syndicales et les féministes, c'est qu'elle est particulièrement joyeuse! Les réprésentantes syndicales adorent ces meetings comme s'il s'agissait de sanctuaires. Si quelqu'un a une bonne idée, il est possible de la mettre en pratique sans qu'une quelconque autorité ait à la reconnaître au préalable. Il est possible de discuter de sujets dont on ne traite habituellement pas dans les syndicats. La bonne entente mutuelle encourage les déléguées syndicales dans leurs tâches de revendications féminines au sein des syndicats.

Women Across en tant qu'organisation de coopération offre beaucoup d'espace à la réalité et aux revendications des femmes. Il s'agit d'une coopération qui favorise la réflexion et l'action hors des sentiers battus, d'une coopération informelle qui n'est pas liée aux directions des principaux syndicats ni à d'autres structures, d'une coopération où les femmes ne sont pas définies comme des problèmes, mais sont considérées comme une force à part entière en tant que femmes.

4. L'impact du mouvement Women Across

Le développement de la lutte féministe au sein de la classe ouvrière a renforcé le pouvoir de la classe ouvrière dans son ensemble, et a consolidé les positions des forces de l'opposition dans les confédérations contrôlées par la social-démocratie. (Une seule confédération présente des liens formels avec le Parti Socialiste de Norvège, mais toutes les confédérations défendent plus ou moins des pogrammes social-démocratiques.)

Un autre impact dans les syndicats, c'est que la méthode de coopération au-delà des limites entre syndicats, professions et confédérations syndicales rivales est devenue beaucoup plus répandue. Cette méthode a gagné tellement de force que la direction social-démocratique de la confédératioin la plus importante, l'Organisation du Travail (LO) a été forcée de fermer les yeux sur ces conférences, alors qu'il y a quelques années à peine elles étaient considérées comme "factieuses" et qu'on estimait qu'elles sapaient le pouvoir des syndicats. Mais l'impact principal, c'est dans le secteur des luttes salariales qu'il s'est fait sentir. La conscience de ce que le salaire féminin repose uniquement sur le postulat de l'infériorité salariale des femmes par rapport aux hommes est largement implantée actuellement. Officiellement, "tout le monde" veut combler ce fossé. Les syndicats de femmes au niveau national ont également exigé que le fossé salarial soit totalement supprimé pour l'an 2000. Et la question de l'augmentation des salaires féminins occupe le centre des pourparlers concernant les réglementations salariales nationales.

De nombreux syndicats à majorité féminine sont parmi les plus désireux de lancer des actions de grève au cours de ces années de négociations salariales et l'esprit positif qui règne au sein des syndicats féminins pose des problèmes à la stratégie bourgeoise en ce qui concerne la différenciation des salaires, l'individualisation des structures salariales, les négociations, etc. Le problème du salaire des femmes est aujourd'hui la force la plus "dynamique" dans le mouvement à propos des négociations salariales. Mais comme l'oppression des femmes fait partie intégrante et indissociable de la société capitaliste même, il ne fait aucun doute que tôt ou tard, cette lutte va évoluer au point de mettre à l'ordre du jour le problème d'une société alternative.